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Hélène C Wangmo

Rien à faire de spécial

Dernière mise à jour : 12 oct. 2022


Ce qui caractérise l’agitation ordinaire est que nous sommes fondamentalement impatients. Nous cherchons toujours quelque chose de spécial à faire pour tromper l’ennui, le désagrément de faire face à rien, rien d’autre que cet instant où attendre et patienter au lieu de se fâcher contre le monde entier. Au supermarché, par exemple, dans des situations ordinaires où l’utilitaire semble être la priorité, nous pouvons ressentir ces impatiences, ces agacements, ces irritations qui nous traversent et se focalisent sur des raisons dites extérieures. Un combat de valeurs se livre parfois entre temps utilitaires et sans grand intérêt et les autres temps qui seraient  dignes d’être vécus. Certes on ne peut nier que certains contenus temporels aient nos faveurs mais en fin de compte, au bout du conte, l’illusion est la même. Souvent nous nous occupons à Faire n’importe quoi plutôt que rien. Feuilleter un magazine insipide, trépigner, râler, s’énerver de l’impossibilité d’attendre, vouloir accélérer les choses. L’impatience est un grand maître qui nous rappelle que vivent en nous beaucoup de frustrations. Quel rapport avons-nous à l’impatience, à la frustration? Voulons-nous que les choses aillent vite tout de suite ou savons-nous attendre, patienter et même faire des situations d’énervement des occasions de ralentir le tempo et de regarder autrement et se poser simplement ? si nous pratiquons nous pouvons nous demander si la méditation nous a déjà fait ressentir cette impatience de fond, ce rejet que nous avons viscéral de l’ennui, ce désir frénétique de vivre quelque chose de spécial et donc d’être quelqu’un de spécial.

Pratiquer dans la vie quotidienne est faire de chaque moment un vrai moment. Plutôt que de dissocier les bons, les mauvais, les intéressants, les utiles, les inutiles, juste les apprécier tels quels. Le coussin aiguise notre lucidité à voir le déclenchement des automatismes, des habitudes à vouloir accélérer le temps, à lutter contre cette dimension qui nous oblige à rester sur terre avec humilité, à courber l’échine de l’ego. Cela se joue tous les jours, à chaque instant même. De nombreuses situations se présentent à nous qui testent notre relation à ce qui arrive et nous confronte à nos automatismes de rejet, d’aversion à ce qui est, d’addiction à ce qui est autre. La méditation nous apprend à honorer chaque instant et chaque situation, à vivre avec quiétude, tranquillité, ces moments où il n’y a rien de spécial, car avant ou après il n’y a rien de spécial non plus en définitive. C’est notre propre échelle de valeurs qui nous rend malheureux. Nous valons bien le vide et la patience sereine qu’il génère à son contact si nous savons laisser passer la fixation sur les frustrations qui n’ont qu’une direction : zapper ce qui est, pour vivre autre chose, et cela de façon quasi-systématique.

Faire face à l’ennui le transforme en capacité de goûter la saveur de chaque grain qui s’écoule dans le sablier d’aujourd’hui sans le comparer à un autre. Pratiquer la méditation c’est apprendre à savoir attendre, c’est savoir qu’il n’y a rien de spécial à rechercher, que tout est déjà donné dans la vivacité de l’inter-être, que ce soit inter-être avec la dimension temporelle ou d’autres dimensions de l’existence. Il ne s’agit pas d’être passif ou particulièrement lent car être capable de patience, de voir chaque moment comme vrai et unique nous rend plus apte à agir avec discernement, efficacité et joie.

Chaque grain du tempo quotidien s’écoule dénudant l’impatience à être à vivre à faire ne pas reconnaître cette enfantine avidité bloque l’être la vie l’action – chaque instant est coussin lucide où goûter la simplicité des possibles librement et y répondre avec l’efficacité sereine de la joie –

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